À l’occasion de la mise en ligne de cette vidéo qui vous montre comment jouer 10 phrases de Bill Evans sur autumn leaves, j’aimerais vous livrer quelques réflexions sur le travail de l’improvisation.
Je vais vous parler en particulier de l’utilisation et du travail des « plans » ou encore des licks.
Plans ? Patterns ? Licks
Commençons avec quelques définitions.
Des plans ou des licks (en anglais), ce sont des phrases musicales toutes faites, qu’on reprend note à note dans une improvisation.
Souvent, c’est une mélodie extraite d’un solo d’un musicien qu’on apprécie particulièrement.
Parfois, ce sont des phrases à ce point connues qu’on les appellent clichés ou citations.
Ça peut même être une blague entre musiciens. Peut-être connaissez-vous le célèbre « the lick », qui est tellement joué et rejoué, qu’il est devenu un meme ?
Un pattern, c’est une séquence de note qui est déplacée dans un enchaînement d’accords ou une gamme.
C’est plus un exercice qu’une phrase, mais une phrase peut-être composée à partir de pattern.
Par exemple, le Déliateur ou le Hanon (célèbres livres d’exercices pianistiques) sont des répertoires de patterns qu’on fait partir de toutes les notes de la gamme majeure.
Comment utiliser les jazz licks ?
La première étape est de trouver un plan jazz qui vous plaît.
Vous pouvez vous y prendre de quatre manières :
- en relevant à l’oreille un solo que vous aimez
- en l’inventant vous-même
- en le prélevant dans une transcription déjà faite d’un solo
- en sélectionnant dans un recueil de licks.
(On discutera plus loin de la pertinence de ces 4 façons de les trouver)
Ensuite, il s’exploite en général de deux façons :
- en cherchant à le placer dans des grilles d’accords
- en le transposant dans tous les tons.
Les jazz licks : une utilisation qui fait débat
Autour de ce travail, existent de vraies problématiques qui font que plusieurs clans s’opposent.
Les détracteurs diront que cela nuit à la créativité et empêche le développement de sa personnalité musicale.
En effet, mémoriser des plans pour les « re-placer » dans des improvisations, est-ce encore de l’improvisation ? On pourrait même parler de plagiat ou d’imitation.
Les adeptes du travail des plans considèrent que c’est une manière de se « nourrir » des improvisateurs et improvisatrices passés ou actuels. Le vocabulaire ainsi construit, garantit à tous les coups un certain niveau de jeu.
C’est une manière d’acquérir un savoir-faire, tel que se faisait l’apprentissage de la peinture à certaines époques, c’est-à-dire en cherchant à reproduire les toiles des maîtres.
Les risques de choisir un camp
Plusieurs écueils se présentent à ceux qui prônent l’étude des jazz licks et ceux qui les dénigrent.
En excluant l’emploi des plans, le risque est de tourner en rond, de réinventer l’eau chaude.
On passe à côté des savoir-faire des artistes qui nous ont précédés. J’observe souvent que certains musiciens qui manquent de vocabulaire, voire de maîtrise technique sont passés à côté de ce processus.
D’un autre côté, en misant à fond sur le travail des plans, le risque est de s’éloigner du mécanisme de l’improvisation en alignant des notes au kilomètre. Attention à ne pas rater l’ingrédient indispensable d’une improvisation réussie : l’intention et la connexion au chant intérieur.
J’en parlais déjà dans cet article : L’aspect le plus important pour une improvisation réussie
10 phrases de Bill Evans sur autumn leaves
Ma vidéo du jour vous propose dix phrases de Bill Evans qu’il a jouées sur les thèmes les feuilles mortes.
Elles sont tirées de la version tirée du disque Portrait In Jazz (take 9) paru en 1960 avec Scott LaFaro et Paul Motian.
C’est donc l’occasion pour moi de partager ma vision de l’utilisation des plans.
Je dois vous dire que j’ai été longtemps dans la catégorie des réticents à l’utilisation des licks et que mon approche a évoluée.
5 manières de vous entraîner avec les jazz licks
La première chose importante à comprendre, c’est qu’étudier des plans n’apprend pas à improviser. Le mécanisme d’improvisation est différent. Il consiste à faire émerger son chant intérieur et à le transmettre via l’instrument.
Donc dans un premier temps, ce travail d’imitation n’aide pas à improviser. Ce n’est pas son objectif. Mais on peut le faire pour d’autres raisons, je vais vous en citer quelques-unes.
Avant cela, un conseil. Ne vous contentez pas de prendre une phrase dans un recueil de relevés ou d’exercices. Faites l’effort d’inventer ou de trouver à l’oreille le lick que vous voulez utiliser. Vos progrès seront multipliés par 10.
1 — Pour connaître l’instrument
Jouer dans tous les tons est un vrai challenge au piano, car chaque tonalité a ses propres reliefs. En vous entraînant à la transposition des phrases, vous allez acquérir une grande liberté sur l’instrument.
2 — Pour créer une relation oreille/instrument
Ne faites pas ces transpositions en les écrivant, mais plutôt en utilisant vos oreilles. À force d’essais et erreurs, vous allez développer une vraie connexion entre votre écoute et votre jeu.
3 — Pour trouver de nouvelles idées
Si vous ne comptez que sur votre propre inspiration, le risque sera de tourner en rond.
En analysant la musique des autres, vous trouverez de nouveaux concepts et idées. Grâce à l’imitation, vous allez intégrer intuitivement de nouveaux chemins de pensée.
4 — Pour se construire une culture
Quand on désire improviser dans un style, le jazz par exemple, la culture qui permet d’avoir un chant intérieur développé, n’est pas toujours suffisamment ancrée.
Apprendre des phrases nous aide à rentrer dans un Nouveau monde. C’est particulièrement vrai quand on veut travailler une musique presque inédite à nos oreilles.
L’utilisation de « clichés » est une manière de situer notre jeu dans une esthétique. D’ailleurs, il existe un art de la citation, c’est-à-dire de jouer une mélodie très connue dans une improvisation.
5 — Pour les utiliser comme matière première
Dans mon approche personnelle et pédagogique, je ne me contente pas de transposer des plans. Ils sont décortiqués, déconstruits, transformés. Je change leur contexte, j’en prends des fragments, les assemble différemment, avec d’autres idées.
Aussi, je me laisse aller à ce que ces phrases m’inspirent.
Je fais un travail créatif en m’appuyant sur le savoir-faire des artistes qui me font rêver
Ce cinquième point est le plus important dans ma démarche.
Une règle importante
Pour que ce travail soit intéressant, n’oubliez pas cette règle : l’objectif n’est pas de replacer un plan pour lui-même. La finalité, c’est de créer des conditions pour jouer de meilleures improvisations, renouvelées, plus créatives et maîtrisées.
Sacré programme non ?
Alors, ces 10 phrases de Bill Evans, comment allez-vous les utiliser ?
Racontez-moi 🙂